Convention nationale de la lutte contre le sida

Réflexion sur la prévention

Les 1er et 2 juin, la 3e Convention nationale de la lutte contre le sida, organisée par Sidaction, a permis de rassembler personnes vivant avec le VIH, acteurs de la lutte contre le sida, chercheurs, etc. L’occasion de réfléchir ensemble au futur de la lutte.

La 3e Convention nationale de la lutte contre le sida a rassemblé, pendant deux jours, dans les salons cossus de l’Hôtel de Ville de Paris, les acteurs de la lutte contre le sida, autour de thématiques associatives, internationales, scientifiques et transversales. Alors que l’épidémie de sida ne fléchit pas en France et que les résultats publiés par l’Onusida fin mai 2006 semblent montrer que l’épidémie s’est stabilisée dans le monde, la prévention reste un élément crucial de la lutte contre le sida. Selon Kofi Annan, qui inaugurait une conférence internationale à l’Onu sur le sida, les efforts de prévention doivent se maintenir, voire se renforcer, notamment en direction des femmes (1). En France, alors que le débat sur la prévention paraît bloqué depuis la question de l’introduction de la réduction des risques (RdR) sexuels (2), la prévention reste évidemment une épineuse question, après vingt-cinq ans d’épidémie et l’apparition de nouvelles thématiques, de nouvelles questions de société, de nouveaux publics à qui s’adresser. Les sessions de la Convention dédiées à la « Prévention de proximité : publics différents, regards croisés » ont ainsi fait bizarrement l’impasse cette année sur la problématique des homosexuels, pour se préoccuper des femmes et des immigrés…

Le terrain, terreau de la RdR

Ce qui remonte du terrain, c’est que si, au niveau théorique, les associations ne promeuvent pas la RdR sexuels, au niveau pratique, elle est entrée dans les mœurs. Anthony Poncier, rapporteur du Conseil national du sida et modérateur de la première session, affirme ainsi en introduction que la prévention sur le terrain ne peut se limiter à l’injonction de mettre un préservatif, qu’elle doit s’adapter aux pratiques et répondre aux besoins de chacun. Les intervenants détaillant leur pratique, Isabelle Million de Couples contre le sida, Kodou Wade d’Afrisanté (Marseille) et Omar Hallouche de l’Association de lutte contre le sida (Lyon) répéteront cette nouvelle antienne : la prévention sida travaille les questions de la construction sociale de la sexualité et des rapports sociaux de genre. Il est difficile d’être dogmatique, chacun doit oublier ou questionner ses propres représentations en matière de sexualité… La prévention sur le terrain est un travail sur le long terme, car on ne vient pas à bout des tabous en un tour de main. Kodou Wade détaille les apprentissages nécessaires avant de penser faire de la prévention : apprentissage des référents culturels, de l’organisation sociale des communautés auxquelles on s’adresse, identification des relais de la parole. Omar Hallouche, qui a dirigé un programme de prévention auprès des migrants en foyer Sonacotra autour de Lyon, enfonce le clou : « Les changements de comportements ne sont ni aisés, ni définitifs », plaide-t-il. La prévention est pour lui une école de modestie et nécessite, cent fois sur le métier, de remettre son ouvrage… Elle doit s’adapter sans cesse au terrain, aux publics, et surtout, les acteurs de prévention doivent travailler avec le public, à partir de lui et non de leurs propres référents culturels. Foin de l’universalisme si cher à la France…

L’enjeu de l’autonomie et de la parole

L’après-midi, autour des interventions menées par le MFPF (Mouvement français pour le planning familial) et Frisse (Femmes, réduction des risques et sexualité, Lyon), même place à la singularité de l’approche. Danièle Authier, de Frisse, cite Daniel Defert : « Si on fait de la sexualité protégée une idéologie officielle et non à nouveau l’objet d’un débat sur la sexualité (…), on risque d’imposer un nouveau silence sur la vérité des pratiques sexuelles aujourd’hui. On risque de mauvaises surprises à court terme si on transforme le safer sex en langue de bois militante ». C’est en 1990 que Daniel Defert, par ailleurs fondateur de Aides, écrivait ces mots dans Gai-Pied, évoquant alors l’homosexualité. Pourtant, cette réflexion est terriblement d’actualité, constate D. Authier, pour qui « on fait avec de l’humain, pas avec un modèle idéal ». A Frisse, donc, le constat de l’inopérabilité de la norme (le préservatif) est entériné, pour des actions de promotion de santé globale, et des stratégies de réduction des risques en fonction des situations vécues par chacune. Pour Carine Favier, du MFPF, le mouvement est identique : constatant que le champ de la prévention féminine était singulièrement dévasté, le Planning a mis en place un programme d’action, en partenariat avec la DGS, basé sur la réduction des risques sexuels. A destination des femmes, d’abord, dont il s’agit de développer l’autonomie et d’aider à l’appropriation des outils si elles doivent prendre des risques… Dans des groupes mixtes, ensuite, où se travaillent la question des rôles masculins et féminins et les nécessaires changements des deux côtés… Dans la discussion, Carine Favier évoque le fait que les acteurs de prévention sur le terrain sont confrontés à une faillite du modèle unique et qu’il est intéressant de proposer des espaces d’échange de parole, où les problèmes rencontrés par les uns et les autres s’énoncent. Ce pragmatisme entre en opposition avec la logique de prévention globale et soulève la question de l’émergence de modèles alternatifs. Un consensus se dégage néanmoins : pour tous les acteurs présents, il s’agit de redonner au sida une dimension politique et subversive, comme au début de l’épidémie…

Nouveaux outils de prévention

Une session intéressante a opposé, vendredi 2 juillet, les chercheurs travaillant sur les nouveaux outils de prévention et les acteurs associatifs. Notamment autour de la question de la circoncision masculine : le professeur Bertran Auvert de l’Inserm a présenté un certain nombre d’études qui montrent une corrélation entre proportion des hommes circoncis et prévalence du sida dans les pays africains. L’essai 1265 de l’ANRS qu’il a mené en Afrique du Sud tendait à prouver cette corrélation, en opposant deux groupes randomisés de jeunes hommes de 18 à 24 ans souhaitant être circoncis. Le premier groupe, circoncis au début de l’essai, a été suivi pendant 21 mois, le second groupe a été circoncis à la fin de l’essai. En comparant les infections au VIH survenus dans les deux groupes, le professeur estime que le fait d’être circoncis offre une protection de l’ordre de 60 à 75 %, soit une protection partielle mais intéressante et pose la question de l’utilisation de la circoncision en prévention. Outre les difficultés techniques liées à sa généralisation en Afrique (blocs chirurgicaux…), un certain nombre de freins culturels peuvent y être opposés. La discussion avec le public est vive : incompréhension des facteurs culturels liés à la circoncision (pratique sociale ou religieuse ?), impact des interdits religieux sur les comportements sexuels, impérialisme à l’œuvre dans une circoncision massive, éthique des essais…, les interrogations sont nombreuses. On reparle du ténofovir, dont des essais ont été arrêtés au Cameroun et au Cambodge (3) suite aux protestations d’associations locales soutenues par Act up, notamment. Jean-Marie Talom, président du Réseau éthique droit et sida (REDS) établi à Yaoundé au Cameroun, explique que l’intervention d’Act up leur a permis d’obtenir le protocole des essais et d’obtenir gain de cause. Enrôlement de femmes prostituées, faible dispositif de prise en charge psychologique et surtout, absence de prise en charge thérapeutique des personnes séropositives au terme de l’essai… : autant de moins-disant éthiques contrecarrés. Act up milite pour que les nouveaux outils de prévention ne donnent pas lieu à un nouvel impérialisme, avec des cobayes au Sud testant les outils développés au Nord… Pour Act up, les questions éthiques sont loin d’être réglées et doivent nécessairement être étudiées, en concertation avec les populations concernées, avant de démarrer des essais. Pour Danièle Authier, il s’agit tout autant d’accepter de nouveaux moyens de prévention comme autant de facteurs de réduction des risques. Le débat continue.

Christelle Destombes

Cet article est paru dans le Journal du sida n°186 (n°186 – Juillet 2006)

 

 

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